Monday, April 28, 2008

Performance sportive ou performance technologique?

La compagnie Speedo vient de lancer cette année, en prévision des Jeux olympiques de Pékin, le LZR Racer, un maillot qu’elle annonce comme «le plus rapide au monde». Dans la semaine suivant son lancement, des athlètes le portant ont battu trois records du monde. Ce super-maillot est le fruit de longues recherches qui ont impliqué athlètes, entraîneurs, physiologistes et spécialistes de la dynamique des fluides. On peut se demander maintenant si ces maillots ne changent pas les fondements de l’esprit sportif.

L’attrait du sport professionnel provient de l’admiration du dépassement. On représente le sportif comme l’acteur de ce dépassement, et c’est ce pour quoi ils sont adulés. La devise olympique, Citius, Altius, Fortius, évoque la fierté de l’athlète le plus rapide, le plus haut, le plus fort.

Pour préserver cet esprit du sport professionnel, où c’est le meilleur athlète qui l’emporte, on interdit l’usage des stéroïdes et des hormones de croissance. L’attrait de la performance sportive prend son sens dans l’idée de dépassement personnel, d’accomplissement de l’athlète, de l’exploit des sportifs. Quelle en est la pertinence si la simple utilisation d’une drogue permet ce dépassement?

Le développement de la technologie des équipements sportifs soulève de plus en plus des questions parallèles. Comment justifier l’utilisation des super-maillots, par exemple, alors que sont interdites les substances influant sur la performance?

Le principe du LZR Racer repose pourtant sur des travaux de recherche et de développement multidisciplinaires exemplaires. Les turbulences provoquées par les mouvements de la nage et l’avancée dans l’eau provoquent une succion dans le sens opposé au déplacement. Dans un premier temps, des experts en dynamique des fluides et en modélisation informatiques ont mesuré les endroits où se forme cet effet sur le corps de 400 nageurs de haut niveau. Des experts en textiles de performance et en conception de maillots ont alors pu se baser sur ces données avec l’aide de physiologistes pour créer le maillot le plus «optimal possible».

Mais voilà, quelle différence maintenant si les records dépendent des maillots qu’offrent les commanditaires? On est alors dans la situation où l’on ne bat plus un record parce qu’on est le meilleur nageur, mais parce qu’on avait un meilleur équipement que l’athlète précédent.

La façon de battre un record, ou la cause de celui-ci, est secondaire. Quelqu’un, portant le logo de la compagnie X et le drapeau du pays Y, est arrivé plus vite à franchir la ligne d’arrivée, point. Les journalistes peuvent ensuite faire un tableau des médailles et on vendra des maillots faits «du même matériel que celui utilisé par (insérez ici le nom de votre champion favori)».

Les Grecs de l’antiquité s’affrontaient nus dans leurs stades. La coutume découle de leur amour du corps parfait, disent les historiens. Mais ne peut-on y voir aussi un désir d’authenticité? Sans appui autre que celui de sa seule personne, l’athlète est l’unique détenteur de son exploit.

La victoire et le dépassement perdent leur sens s’ils sont attribuables à un agent extérieur. L’interdiction de l’utilisation de drogues ne vise pas seulement à protéger la santé des sportifs, elle tente aussi de préserver la valeur des réalisations sportives.

Il y a un siècle cette année, Pierre de Coubertin énonçait le credo olympique: «L’important dans la vie, ce n’est point le triomphe, mais le combat; l’essentiel, ce n’est pas d’avoir vaincu, mais de s’être bien battu.» Une course technologique pour gagner la fraction de seconde de la victoire vient changer l’esprit porté par ce credo. Si c’est la direction que le domaine du sport prend, la société devra réaliser que l’athlète ne sera qu’un des facteurs de la victoire parmi d’autres.

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